Qu’as-tu à me donner ?

Dans des moments d’incertitude tels que nous les vivons, il est possible à l’homme de se replier sur lui-même, de ne penser qu’à lui. L’invitation faite au disciple de Jésus est de se donner, de donner la vie. Largement, à l’exemple de son Seigneur. Dans un couple, une communauté, un quartier, tous ne donnent pas au même endroit.

« J’étais allé, mendiant de porte en porte, sur le chemin du village lorsque ton chariot d’or apparut au loin pareil à un rêve splendide et j’admirais quel était ce Roi de tous les rois !

Mes espoirs s’exaltèrent et je pensais : c’en est fini des mauvais jours, et déjà je me tenais prêt dans l’attente d’aumônes spontanées et de richesses éparpillées partout dans la poussière.

Le chariot s’arrêta là où je me tenais. Ton regard tomba sur moi et tu descendis avec un sourire. Je sentis que la chance de ma vie était enfin venue. Soudain, alors, tu tendis ta main droite et dis : « Qu’as-tu à me donner ? »

Ah! quel jeu royal était-ce là de tendre la main au mendiant pour mendier ! J’étais confus et demeurai perplexe; enfin, de ma besace, je tirai lentement un tout petit grain de blé et te le donnai.

Mais combien fut grande ma surprise lorsque, à la fin du jour, vidant à terre mon sac, je trouvais un tout petit grain d’or parmi le tas de pauvres grains. Je pleurai amèrement alors et pensai : « Que n’ai-je eu le cœur de te donner mon tout ! » »

Texte de Sagesse


Thérèse de l’Enfant Jésus, Lettre à sœur Marie du Sacré Cœur, Manuscrits Autobiographiques, p. 226-229 

Dans le cœur de l’Église, je serai l’amour

Malgré ma petitesse, je sens le besoin, le désir d’accomplir pour toi, Jésus, toutes les oeuvres les plus héroïques… Je voudrais parcourir la terre, prêcher ton nom et planter sur le sol infidèle ta Croix glorieuse, mais ô mon Bien-Aimé, une seule mission ne me suffirait pas, je voudrais en même temps annoncer l’Évangile dans les cinq parties du monde et jusque dans les îles les plus reculées. Je voudrais être missionnaire non seulement pendant quelques années, mais je voudrais l’avoir été depuis la création du monde et l’être jusqu’à la consommation des siècles…

Ô mon Jésus ! À toutes mes folies que vas-tu répondre ? Y a-t-il une âme plus petite, plus impuissante que la mienne ! Cependant à cause même de ma faiblesse, tu t’es plu, Seigneur, à combler mes petits désirs enfantins, et tu veux aujourd’hui, combler d’autres désirs plus grands que l’univers.

À l’oraison, mes désirs me faisant souffrir un véritable martyre, j’ouvris les épîtres de saint Paul afin de chercher quelque réponse. Les chapitres 12 et 13 de la Première Epître aux Corinthiens me tombèrent sous les yeux. J’y lus, dans le premier que tous ne peuvent être apôtres, prophètes, docteurs, etc., que l’Eglise est composée de différents membres et que l’oeil ne saurait être en même temps que la main.

La réponse était claire, mais ne comblait pas mes désirs ; elle ne me donnait pas la paix. Comme Madeleine se baissant toujours auprès du tombeau vide finit par trouver ce qu’elle cherchait, ainsi, m’abaissant jusque dans les profondeurs de mon néant, je m’élevai si haut que je pus atteindre mon but. Sans me décourager, je continuai ma lecture et cette phrase me soulagea : « Recherchez avec ardeur les dons les plus parfaits, mais je vais encore vous montrer une voie plus excellente » (1Co 12,31). Et l’Apôtre explique comment tous les dons les plus parfaits ne sont rien sans l’amour. Que la charité est la voie excellente qui conduit sûrement à Dieu.

Enfin j’avais trouvé le repos. Considérant le corps mystique de l’Église, je ne m’étais reconnue dans aucun des membres décrits par saint Paul, ou plutôt je voulais me reconnaître en tous. La charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que si l’Église avait un corps composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Église avait un cœur, et que ce cœur était brûlant d’amour. Je compris que l’amour seul faisait agir les membres de l’Église, que si l’amour venait à s’éteindre, les apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les martyrs refuseraient de verser leur sang. Je compris que l’amour renfermait toutes les vocations, que l’amour était tout, qu’il embrassait tous les temps et tous les lieux ; en un mot, qu’il était éternel.

Alors, dans l’excès de ma joie délirante, je me suis écriée : Ô Jésus, mon amour ; ma vocation, enfin je l’ai trouvée ; ma vocation, c’est l’amour.

Oui j’ai trouvé ma place dans l’Église et cette place, ô mon Dieu, c’est vous qui me l’avez donnée. Dans le cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’amour ; ainsi je serai tout, ainsi mon rêve sera réalisé.


Dieu en toutes choses

Cette véritable possession de Dieu se situe dans l’âme dont l’intention intérieure et spirituelle est dirigée vers Dieu, non pas dans une pensée continue et toujours semblable, car ce serait impossible ou très difficile à la nature, et ce ne serait pas non plus le mieux. L’homme ne doit pas se contenter d’un Dieu qu’il pense, car lorsque la pensée s’évanouit, Dieu s’évanouit aussi. Bien plutôt on doit posséder un Dieu dans son essence, loin au-dessus des pensées de l’homme et de toute créature. Ce Dieu ne s’évanouit pas, à moins que l’homme ne se détourne volontairement de lui.

Qui possède ainsi Dieu dans son essence saisit Dieu selon le mode de Dieu, et pour lui Dieu resplendit en toutes choses car toutes choses ont pour lui le goût de Dieu et il voit son image partout… De la même manière que celui qui ressent violemment une grande soif peut faire bien autre chose que boire et avoir aussi d’autres pensées, mais qu’il fasse n’importe quoi ou soit avec n’importe qui, ou quelle que soit son intention, sa pensée ou son occupation, l’image de la boisson ne le quitte pas tout le temps que dure sa soif ; et plus la soif est grande, plus l’image de la boisson est intense, intérieure, présente et continue. Ou encore : celui qui aime une chose ardemment et de toutes ses forces, en sorte qu’il n’a de goût, ni de coeur à quoi que ce soit d’autre, ne pense qu’à cet objet et absolument à rien d’autre ; et certes, n’importe où et avec n’importe qui, quoi qu’il entreprenne ou quoi qu’il fasse, jamais son amour ne s’éteint en lui ; en toutes choses, il trouve l’image de ce qu’il aime, et elle lui est d’autant plus présente que son amour devient plus fort. Cet homme ne recherche pas le repos, car aucune inquiétude ne le trouble.

Maître Eckhart, Instructions spirituelles 6


CONDUIS-MOI DOUCE LUMIERE.

Conduis-moi, douce lumière

A travers des ténèbres qui m’encerclent

Conduis-moi, Toi, toujours plus avant !

La nuit est d’encre

Et je suis loin de la maison

Conduis-moi., Toi, toujours plus avant !

Garde mes pas : je ne demande pas à vair déjà

Ce qu’on doit voir là bas :un seul pas à la fois

C’est bien assez pour moi.

Je n’ ai pas toujours été ainsi

Et je n’ai pas toujours prié

Pour que tu me conduises, Toi, toujours plus avant.

J’aimais choisir et voir mon sentier; mais maintenant :

Conduis-moi, Toi, toujours plus avant!

Si longuement ta puissance m’a béni :

surement encore elle

Saura me conduire toujours plus avant

Par la lande et par le marécage,

Sur le rocher abrupt et le flot du torrent

Jusqu’à oe que la nuit s’en soit allée,

Et que dans le matin sourient ces visages d’anges

Que j’avais aimés il y a bien longtemps

Et que j’avais perdus pour un temps !

Conduis-moi, douce lumière,

Conduis-moi, Toi, toujours plus avant !

NEWMAN


Je suis la résurrection et la vie, dit Jésus.

Qui croit en moi, fût-il mort, vivra,

Et je crois, oui, je crois qu’un jour, ton jour, ô mon Dieu,

je m’avancerai vers toi,

Avec mes pas titubants,

Avec toutes mes larmes dans mes mains,

Et ce cœur merveilleux que tu nous as donné,

Ce cœur trop grand pour nous puisqu’il est fait pour toi…

Un jour, je viendrai,

Et tu liras sur mon visage

Toute la détresse, tous les combats, tous .les échecs des

chemins de la liberté,

Et tu verras tout mon péché.

Mais je sais, ô mon Dieu, que ce n’est pas grave le péché,

quand on est devant toi.

Car c’est devant les hommes que l’on est humilié.

Mais devant toi, c’est merveilleux d’être si pauvre,

Puisqu’on est tant aimé!

Un jour, ton jour, ô mon Dieu, je viendrai vers toi.

Et dans la formidable explosion de ma résurrection,

Je saurai enfin

Que la tendresse, c’est toi,

Que ma liberté, c’est encore toi.

Je viendrai vers toi, ô mon Dieu, et tu me donneras ton

visage.

Je viendrai vers toi avec mon rêve le plus fou:

T’apporter le monde dans mes bras.

Je viendrai vers toi, et je te crierai à pleine voix

Toute la vérité de la vie sur la terre.

Je te crierai mon cri qui vient du fond des âges :

« Père ! J’ai tenté d’être un Homme, et je suis ton enfant… »

Jacques Leclercq, Le Jour de l’homme


PÂQUES : LA FOI QUI REDÉCOUVRE LA VIE

Comment dire la Résurrection ? A partir de son expérience, chacun privilégie une perspective. Saint Luc souligne la sienne : «leurs yeux s’ouvrirent », « il nous ouvrait les Écritures », « il leur ouvrit l’intelligence ». Ceux et celles dont il est ici parlé nous ressemblent. Ils en avaient beaucoup appris au contact de Jésus sur les routes de Galilée ou de Judée. Comme eux nous savons, nous aussi, déjà bien des choses. Ils avaient même commencé de croire. Nous aussi. Mais avec « ce qui s’est passé ces jours-ci », avec tout ce qui arrive un peu partout, l’élan est retombé, quelque chose est maintenant brisé : « nous espérions… mais… ». Or, voici qu’au lieu même de cette obscurité, une fenêtre s’ouvre. Non, la Résurrection du Christ n’est pas une information qui nous manquait, encore moins un spectacle ou un coup de théâtre. Ici, elle est plutôt une lente découverte.

Une découverte préparée à notre insu depuis longtemps « elles se rappelaient ses paroles », « les paroles que je vous ai dites », «tout ce qui a été écrit ». Une découverte qui ne va pas de soi : « certains ne croyaient pas et demeuraient saisis d’étonnement », «leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître ». On ne s’habitue pas du premier coup à cette lumière : les femmes sont «perplexes », Pierre «tout surpris », et les Apôtres pensent « voir un esprit ».

Sans compter d’autres obstacles que nous connaissons bien : c’est dans le même évangile qu’il est écrit en conclusion de l’histoire du pauvre et du riche : « Du moment qu’ils n’écoutent ni Moïse ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscite d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus » (Lc 16, 31). Il y faut autre chose, un long parcours, un travail intérieur, pour que s’opère cette découverte : c’est seulement le soir, à l’auberge, que « leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent ».

Alors, de proche en proche, de « l’un à l’autre », progressivement, on aperçoit les vraies dimensions d’un monde dont on croyait avoir fait le tour. C’est le même « pain », le même «poisson grillé », « ses mains et ses pieds » à lui, les mêmes Ecritures bien connues, Moïse et les Prophètes, mais tout est maintenant redé­couvert dans une lumière nouvelle, celle du «premier jour de la semaine ». La même vie autrement.

Voici le temps de Pâques. La grâce nous soit faite de voir sous un autre jour ce que nous connaissons trop bien. C’est la Foi qui, à chaque génération, redécouvre un avenir pour le monde. La Foi de quelques-uns au bénéfice de tous.

Edouard O’NEILL sj
La grâce d’agir, Vie Chrétienne, n°484

La descente aux enfers

Qu’est ceci? Un grand silence règne aujourd’hui sur la terre, un grand silence et une grande solitude. Un grand silence, parce que le roi dort. La terre a tremblé et s’est calmée, parce que Dieu s’est endormi dans la chair, et qu’il est allé réveiller ceux qui dormaient depuis des siècles. Dieu est mort dans sa chair, et les enfers ont tressailli. Dieu s’est endormi pour un peu de temps, et il a réveillé du sommeil ceux qui séjournaient aux enfers…

Il va chercher Adam, notre premier père, la brebis perdue. Il veut aller visiter tous ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort. Il va pour délivrer de leurs douleurs Adam dans ses liens, et Eve captive avec lui, lui qui est en même temps leur Dieu et leur fils.

Descendons avec lui pour voir l’alliance entre Dieu et les hommes… Là se trouve Adam, le premier père, et, comme premier créé, enterré plus profondément que tous les condamnés. Là se trouve Abel, le premier mort, et comme premier pasteur juste, figure du meurtre injuste du Christ pasteur. Là se trouve Noé, figure du Christ, le constructeur de la grande arche de Dieu, l’Eglise… Là se trouve Abraham, le père du Christ, le sacrificateur, qui offrit à Dieu par le glaive et sans glaive un sacrifice mortel sans mort. Là demeure Moise, dans les ténèbres inférieures, lui qui jadis a séjourné dans les ténèbres supérieures de l’arche de Dieu. Là se trouve Daniel, dans la fosse de l’enfer, lui qui, jadis, a séjourné, sur la terre, dans la fosse aux lions. Là se trouve Jérémie dans la fosse de boue, dans le trou de l’enfer, dans la corruption de la mort. Là se trouve Jonas dans le monstre capable de contenir le monde, c’est-à-dire dans l’enfer, en signe du Christ éternel. Et parmi les prophètes, il en est un qui s’écrie : « Du ventre de l’enfer, entends ma supplication, écoute mon cri » et un autre: « Des profondeurs, je crie vers toi, Seigneur ; Seigneur, entends ma voix. » Et un autre encore « Fais rayonner ton visage, et nous serons sauvés! »….

Mais, comme, par son avènement; le Seigneur voulait pénétrer dans les lieux les plus inférieurs; Adam, en tant que premier père et que premier créé de tous les hommes, et en tant que premier mortel, lui qui avait été tenu captif plus profondément que tous les autres, et avec le plus grand soin, il entendit le premier le bruit des pas du Seigneur, qui venait vers les prisonniers. Et il reconnut la voix de celui qui cheminait dans la prison, et s’adressant à tous ceux qui étaient enchaînés avec lui depuis le commencement du monde, il parla ainsi : « J’entends les pas de quelqu’un qui vient vers nous! » Et pendant qu’il parlait, le Seigneur entra, tenant les armes victorieuses de la croix. Et lorsque le premier père, Adam, le vit, plein de stupeur il se frappa la poitrine, et cria aux autres: « Mon Seigneur soit avec vous tous! » Et le Christ répondit à Adam « Et avec ton esprit ». Et lui ayant saisi la main, il lui dit:

« Tiens-toi debout, toi qui dormais, lève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. Je suis ton Dieu et, à cause de toi, je suis devenu ton fils. Lève-toi, toi qui dormais, car je ne t’ai pas créé pour que tu séjournes ici enchaîné dans l’enfer. Surgis d’entre les morts, je suis la Vie des morts. Lève-toi, toi l’œuvre de mes mains, toi, mon effigie qui a été faite à mon image. Lève-toi et partons d’ici, car tu es en moi et je suis en toi, nous formons tous deux une personne unique et indivisible. A cause de toi, moi ton Dieu, je suis devenu ton fils; à cause de toi, moi, le Seigneur, j’ai pris la forme d’esclave ; à cause-de toi, moi, qui demeure au-dessus des cieux, je suis descendu sur la terre, et sous la terre. Pour toi, homme je me suis fait comme un homme sans protection, libre entre les morts. Pour toi,-qui es sorti du jardin, j’ai été livré aux juifs dans le jardin, et j’ai été crucifié dans le jardin. Regarde sur mon visage les crachats que j’ai reçus pour toi, afin de te replacer dans l’antique paradis. Regarde sur mes joues les traces des soufflets que j’ai subis pour rétablir en mon image ta beauté détruite. Regarde sur mon dos la trace de la flagellation que j’ai reçue, afin de te décharger du fardeau de tes péchés, qui avait été imposé sur ton dos. Regarde mes mains, qui ont été solidement clouées au bois, à cause de toi, qui autrefois a mal étendu tes mains vers le bois… Je me, suis endormi sur la croix, et la lance à percé mon côté à cause de toi, qui t’es endormi au paradis et as fait sortir Eve de ton côté. Mon côté a guéri la douleur de ton côté. Et mon sommeil te fait sortir maintenant du sommeil de l’enfer. Lève-toi, et partons d’ici, de la mort à. la vie, de la corruption à l’immortalité, des ténèbres à la lumière éternelle. Levez-vous, partons d’ici, et allons de la douleur à la joie, de la prison à la Jérusalem céleste, des chaînes à la liberté; de la captivité aux délices du paradis, de la terre au ciel. Mon Père céleste attend la brebis perdue, un trône de chérubin est prêt; les porteurs sont debout et attendent, la salle de noces est préparée, les tentes et les demeures éternelles sont ornées, les trésors de tout bien sont ouverts, le royaume des cieux qui existait avant tous les siècles vous attend.

Pseudo Epiphane, Homélie pour le Samedi Saint

cité par Urs von Balthasar,

Dieu et l’homme d’aujourd’hui, p.258ss

Et si nous écrivions l’histoire du grain de blé…

 » Le grain de blé est parfaitement heureux dans son grenier. Il ne pleut pas dans le grenier. Il n’y a pas d’humidité. Et les petits copains du grain de blé sont bien gentils ; il n’y a pas de bagarre entre eux. Il est heureux, très heureux. « 

Par comparaison à ce que nous appelons le bonheur, c’est-à-dire la santé, la fortune… il est heureux. Mais remarquez que c’est un petit bonheur de grain de blé dans un grenier. Je le dis doucement parce qu’il ne faut pas mépriser le bonheur humain. J’ai le droit de travailler à ma santé, à l’aisance et à tout cela. Rien de méprisable en tout cela. Mais par rapport à ce qu’il doit être, c’est un petit bonheur. J’aime beaucoup l’expression « an petit bonheur ». Nous marchons en cherchant le petit bonheur.

En écrivant, vous imaginerez que ce grain de blé est très pieux et qu’il remercie Dieu en disant :  » Seigneur, je te remercie pour toutes tes grâces : il ne pleut pas, il n’y a pas d’humidité, je suis bien tranquille, c’est parfait. Merci Seigneur. « 

En faisant cette prière, le grain de blé s’adresse à un Dieu qui n’existe pas. Il s’adresse à une idole. Un Dieu qui serait le père et le garant d’un petit bonheur dans un grenier, ou qui serait l’auteur et le garant de la bonne santé des hommes, de leur aisance et de leur fortune. Ce Dieu là n’existe pas. N’allons pas nous mettre à genoux devant une idole. Le Dieu qui existe est celui qui va transformer le grain pour qu’il devienne ce pour quoi il existe, c’est-à-dire, un épi.

Mais continuons notre rédaction : » Un jour, on charge le tas de blé sur une charrette, puis on sort dans la campagne. C’est encore bien mieux que dans le grenier, c’est merveilleux : le ciel bleu, les oiseaux, les fleurs… Mais le grain est toujours un grain. Il n’est pas transformé. Pieusement, il loue Dieu de plus belle : ‘La vie, c’est encore beaucoup plus beau que je ne pensais, c’est formidable. Merci, Seigneur’ « .

Il s’agit toujours d’un Dieu qui n’existe pas. Bien sûr, vous pouvez nuancer ce jugement, car ce Dieu existe aussi et j’ai bien le droit de louer Dieu pour ma joie et mon bonheur ici-bas. Je dois même le faire, à condition que je m’adresse au vrai Dieu. Or, le vrai Dieu, c’est celui qui va venir maintenant.

 » On arrive sur la terre fraîchement labourée, on verse le tas de blé sur le sol et puis on l’enfonce dans la terre. A ce moment-là, le grain de blé sur le sol n’y comprend plus rien. Comme on dit autour de nous :’Si Dieu existait, de telles choses n’arriveraient pas.’ Et notre petit grain se met à regretter le bonheur de son grenier, il se sent mourir, l’humidité le pénètre jusqu’au centre, il se dissout « .

C’est à se demander, à ce moment-là, si la vie n’est pas purement et simplement absurde.

 » Quelques semaines plus tard c’est la moisson, et le grain est devenu un bel épi, et c’est pour cela qu’il existait. « 

François Varillon sj

Extrait de  » Vivre le christianisme « .

LE DIALOGUE AVEC DIEU ? EXISTENCE ET MONDE, LIEU DU DIALOGUE

« Le grand fait d’Israël n’est pas d’avoir enseigné le seul vrai Dieu … c’est d’avoir montré qu’il était possible en réalité de lui parler, de lui dire TU, de se tenir debout devant sa Face et d’avoir avec lui un commerce réel. Partout où il y a l’homme, il y a la prière aussi … Mais ce fût Israël le premier-qui comprit et bien plus vécut la vie comme un dialogue entre l’homme et Dieu : Dieu parle avec l’ homme, il lui adresse sa parole et l’homme répond; puis l’homme est libre de parler à son tour et Dieu lui répondra. Dieu entendu de la façon la plus concrète comme Celui qui parle et la création entendue comme sa parole; appel crié dans le néant et réponse des mondes par leur apparition; la parole créatrice perpétuellement féconde dans l’existence de toutes les créatures; la vie de chaque créature ainsi qu’ un dialogue incessant fut le message d’Israël que sa vocation était de répondre. Et Israël témoigna que le vrai Dieu est celui auquel on peut parler puisqu’il parle.

« Dieu s’adresse directement à l’homme par le moyen de ces choses et de ces Êtres qu’il place dans sa vie; l’homme répond par la façon dont il se conduit à l’égard de ces choses et de ces êtres envoyés de Dieu. Il y a un risque: l’âme ne veut plus avoir affaire qu’à Dieu seul, comme si Dieu voulait qu’on assouvisse en lui seul et non pas en sa création l’amour qu’on lui porte. L’homme alors se figure que le monde s’est évanoui entre lui et Dieu. Est-il encore au monde ? Mais avec le monde c’est Dieu qui s’est évanoui, il ne reste plus que lui: l’âme et ce qu’elle appelle Dieu n’est qu’idée qu’elle se fait. C’est le refus mystique du monde. De toute antiquité Israël avait confessé que le monde n’est pas le lieu de Dieu mais que Dieu est le lieu du monde et qu’il y « demeure » cependant réellement présent. (« Voici que les cieux, et les cieux des cieux ne peuvent le contenir-moins encore que cette maison que j’ai construite » 1 R. 8,27). De ce fait le monde est un sacrement, ce qu’il ne pourrait pas être s’il était le lieu de Dieu; rien d’autre en effet que cette présence  réelle « en lui » d’un Dieu qui lui est cependant transcendant ne peut faire de lui un sacrement. « Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire » c’est-à-dire de ta présence. C’est seulement chaque fois que l’homme entre en contact tant consciemment et saintement que celui-ci devient sacramentel. Il se produit alors une réelle ouverture sur le divin. Monde de ces choses et de ces êtres que Dieu n’a pas tant mis dans notre dépendance qu’il s’y est mis lui-même et il s’y tient à notre merci. Ce monde ne peut être considéré comme un obstacle entre l’homme et Dieu. Au contraire il est point de rencontre. Ce monde prêt à être un sacrement. Ce monde est ce par quoila.Parole de Dieu peut m’atteindre et ce en quoi Dieu veut recevoir une réponse de moi-même. Accueillir activement Dieu dans les choses, Dieu se dévoile à la lumière de toute rencontre authentique, il nous parle, il se propose dans le concret de toute situation .

  1. BUBER « Le Message Hassidique »
NE TARDE PAS!

Seigneur, Dieu, mon Aimé !
Si tu te rappelles encore mes péchés
pour ne pas faire ce que je te demande, Fais en eux, mon Dieu, ta volonté,
qui est ce que je veux par-dessus tout, Et exerce ta bonté et ta miséricorde,
et tu seras connu en eux.
Mais si tu attends mes œuvres
afin, par ce moyen, d’exaucer ma prière, Donne-les-moi, toi, et fais-les-moi,
avec les souffrances que tu voudrais accepter, Et que cela se fasse.
Mais si tu n’attends pas mes œuvres, qu’attends-tu, mon très clément Seigneur ? Pourquoi tardes-tu ?
Car, enfin, si c’est bien la grâce et la miséricorde que par ton Fils je te demande,
Prends mon obole, puisque tu la veux,et donne-moi ce bien,
puisque toi aussi tu le veux.
Qui pourra se délivrer
de ces façons et manières basses, Si tu ne l’élèves jusqu’à toi
en pureté d’amour, ô mon Dieu ?
Comment s’élèvera-t-il jusqu’à toi,
l’homme engendré et grandi dans la bassesse, Si toi tu ne l’élèves pas, Seigneur,
avec la main qui l’a fait ?
Tu ne m’enlèveras pas, ô mon Dieu,
ce qu’une fois tu m’as donné
en ton Fils unique,
Jésus Christ,
en qui tu m’as donné tout ce que je veux.
C’est pourquoi je me réjouirai que tu ne tardes pas, si j’attends.
Quels atermoiements te font-ils attendre,
puisque dès maintenant
tu peux aimer Dieu en ton cœur ?
Miens sont les cieux et mienne la terre.
Miennes les nations.
Les justes sont à moi et à moi les pécheurs. Les anges sont à moi
Et la Mère de Dieu,
et toutes les choses sont miennes.
Et Dieu même est à moi et pour moi,
car le Christ est à moi et tout entier pour moi. Alors que demandes-tu et cherches-tu, mon âme ? Tout cela est à toi,
et tout est pour toi.
Ne t’estime pas moins et ne te soucie pas
des miettes qui tombent de la table de ton Père. Sors dehors et glorifie-toi
en ta gloire
Cache-toi en elle et jouis,
et tu obtiendras ce que ton cœur désire.

Saint Jean de la Croix,

Oraison d’une âme amoureuse

Les dicts de lumière et d’amour (trad. Bernard Sesé)

Jésus en agonie jusqu’à la fin du monde

Jésus est dans un jardin, non de délices comme le premier Adam, où il se perdit et tout le genre humain, mais dans un des supplices, où il s’est sauvé et tout le genre humain.

Il souffre cette peine et cet abandon dans l’horreur de la nuit.

Je crois que Jésus ne s’est jamais plaint que cette seule fois : mais alors il se plaint comme s’il n’eût plus pu contenir sa douleur excessive : « Mon âme est triste jusqu’à la mort » (Mt 26,38 ; Mc 14,34).

Jésus cherche de la compagnie et du soulagement de la part des hommes. Cela est unique en toute sa vie, ce me semble. Mais il n’en reçoit point, car ses disciples dorment.

Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là.

Jésus au milieu de ce délaissement universel et de ses amis choisis pour veiller sur lui, les trouvant dormant, s’en fâche à cause du péril où ils s’exposent, non lui, mais eux-mêmes, et les avertit de leur propre salut et de leur bien avec une tendresse cordiale pour eux pendant leur ingratitude, et les avertit que « l’esprit est prompt et la chair infirme » (Mt 26,41 ; Mc 14,38).

Jésus, les trouvant encore dormant, sans que ni sa considération, ni la leur les en eût retenus, il a la bonté de ne pas les éveiller, et de les laisser dans leur repos.

Jésus prie dans l’incertitude de la volonté du Père, et craint la mort mais l’ayant connue, il va au-devant s’offrir à elle : « Partons… Et il s’avança » (Jn 14,31 ; 18,4).

Jésus a prié les hommes et n’en a pas été exaucé.

Jésus, pendant que ses disciples dormaient, a opéré leur salut. Il l’a fait à chacun des justes pendant qu’ils dormaient, et dans le néant avant leur naissance, et dans les péchés depuis leur naissance.

Il ne prie qu’une fois que le calice passe et encore avec soumission, et deux fois qu’il vienne s’il le faut…

Nous implorons la miséricorde de Dieu, non afin qu’il nous laisse en paix dans nos vices, mais afin qu’il nous en délivre.

Si Dieu nous donnait des maîtres de sa main, oh ! qu’il leur faudrait obéir de bon coeur ! La nécessité et les événements en sont infailliblement.

« Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais trouvé ».

« Je pensais à toi dans mon agonie, j’ai versé telles gouttes de sang pour toi ».

« Veux-tu qu’il me coûte toujours du sang de mon humanité, sans que tu me donnes des larmes ? »

« C’est mon affaire que ta conversion ; ne crains point, et prie avec confiance comme pour moi ».

« Je te suis plus ami que tel ou tel ; car j’ai fait pour toi plus qu’eux, et ils ne souffriraient pas ce que j’ai souffert pour toi et ne mourraient pas pour toi dans le temps de tes infidélités et cruautés, comme j’ai fait et comme je suis prêt à le faire et le fais dans mes élus et au Saint Sacrement ».

Blaise Pascal, Pensées

 

Henri J.M. Nouwen, Chemin de passion, chemins du monde. Méditation, Ottawa, Novalis, 1998, p.40.

« Alors que Jésus portait sa croix au Golgotha, les soldats croisèrent un homme de Cyrène appelé Simon et le recrutèrent pour porter la croix devenue trop lourde pour Jésus seul. Celui-ci était alors incapable de la porter au lieu de son exécution ; il avait besoin de l’aide d’un étranger pour accomplir sa mission. Tant de faiblesse, tant de vulnérabilité ! Jésus a besoin de nous pour accomplir sa mission. Il a besoin de personnes qui portent sa croix avec lui et pour lui. Il est venu nous montrer le chemin vers la maison de son Père. Il est venu nous offrir un nouveau foyer, nous donner un sentiment d’appartenance, nous indiquer la vraie sécurité. Mais, seul, il ne peut y arriver.

Dans son projet de salut, œuvre difficile et douloureuse, Dieu devient dépendant des êtres humains. A ses disciples qui voulaient le défendre avec leurs épées, Jésus dit : « Remets ton épée à sa place (…). Penses-tu que je ne puisse faire appel à mon Père, qui mettrait aussitôt à ma disposition plus de douze légions d’anges ? Comment s’accompliraient alors les Ecritures selon lesquelles il faut qu’il en soit ainsi ? (Matthieu 26,52-54). Le chemin de Jésus en est un d’impuissance, de dépendance, de passion. Lui qui s’est fait enfant, dépendant de l’amour et des soins de Marie, de Joseph et de tant d’autres, complète son itinéraire terrestre dans la totale dépendance. Il devient un Dieu qui attend. Il attend, se demandant que ce que les autres feront de lui. Est-ce qu’on le trahira ou le proclamer messie ? Est-ce qu’on l’exécutera dans la solitude ou le suivra-t-on ? Est-ce qu’on le clouera à la croix, loin de ses disciples, ou l’aidera-t-on à porter sa croix ? Pour devenir Sauveur du monde, Jésus a besoin d’hommes et de femmes qui acceptent de porter la croix avec lui. Certains le font volontairement ; d’autres doivent être « recrutés ». Mais quand ils touchent au bois de la croix, ils découvrent qu’il s’agit d’un fardeau léger, d’un joug facile à porter qui conduit à la maison du Père.

Pedro Arrupe, Comme je vous aimés, Apostolat de la prière, Namur, 1982, 57-58.

Le prophète Zacharie écrit : « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé » (12,10). C’est une invitation à contempler dans cette blessure le « Fils unique », le « premier-né » dont le côté ouvert devient, selon saint Jean, la source du salut : « un des soldats lui perça le côté d’un coup de lance et il en sortit du sang et de l’eau » (Jn 19,34).

L’image du Christ en croix, élevé de terre et dont le côté est ouvert, puise donc ses racines dans l’Ancien Testament tout en étant également comme le résumé de la théologie de saint Jean et même de toute la vie chrétienne. Elle exprime la fécondité rédemptrice de la mort du Christ. Nous retrouvons ici un symbolisme sémitique : le coup de lance est le signe de la mise à mort de l’agneau immolé ; l’eau et le sang sont signes de vie et de fécondité. Le cœur transpercé évoque l’agneau pascal de la Nouvelle Alliance, Et, comme l’exprime l’encyclique Haurietis Aquas sur le cœur de Jésus : « ces paroles du prophète Zacharie : « ils regarderont vers celui qu’ils ont transpercé » s’adressent aux chrétiens de tous les temps » (15 mai 1956, n°50).

Nous tenant dans la prière devant Jésus en croix, contemplant son côté transpercé, voyant jaillir de sa blessure l’eau et le sang, nous comprenons mieux les paroles que Jésus prononçait en la fête des Tabernacles : « Que celui qui a soif vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi. De son cœur couleront des fleuves d’eau vive » (Jn 7,37). Les juifs pouvaient songer à cette eau qu’ils tiraient de leurs puits pour l’offrir au Seigneur avec les fruits de la terre. Mais nous qui connaissons l’aridité de nos âmes nous avons soif du Saint Esprit et nous disons avec le psalmiste : « Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant » (Ps 41). Ou encore : « je tends vers toi les mains, mon âme est une terre assoiffée de toi, Seigneur » (Ps 142).

LE SECRET REVELE PAR LES PLAIES (Saint Bernard de Clairvaux)

Dans Homélies sur le Cantique des cantiques, 61,3-5 (trad. Orval, Liturgie des Heures, t.1, p.486.

Où donc notre fragilité peut-elle trouver repos et sécurité, sinon dans les plaies du Sauveur ? Je m’y sens d’autant plus protégé que son salut est plus puissant. L’univers chancelle, le corps pèse de tout son poids, le diable tend ses pièges : je ne tombe pas, car je suis campé sur un roc solide. J’ai commis quelque grave péché : ma conscience se trouble, mais elle ne perd pas courage, puisque je me souviens des plaies du Seigneur, qui a été transpercé à cause de mes fautes. Rien n’est à ce point voué à la mort que la mort du Christ ne puisse le libérer. Dès que je pensé à cette médecine si forte et efficace, la pire des maladies ne m’effraie plus.

Il se trompait donc, celui qui a dit : Mon péché est trop grand pour que j’en obtienne le pardon. Il est vrai qu’il n’était pas un membre du Christ, et que les mérites du Christ ne le concernaient pas ; il n’avait pas le droit de les revendiquer pour lui, comme un membre peut dire siens les biens de la tête.

Pour moi, ce qui me manque par ma faute, je le tire hardiment des entrailles du Seigneur, car la miséricorde y abonde, et elles sont percées d’assez de plaies pour que l’effusion se produise. Ils ont percé ses mains, ses pieds, et d’un coup de lance son côté. Par ces trous béants, je puis goûter le miel de ce roc et l’huile qui coule de la pierre très dure, c’est-à-dire goûter et voir combien le Seigneur est bon. Il formait des pensées de paix et je ne le savais pas. Qui, en effet, a connu la pensée du Seigneur ? Qui a été son conseiller ? Mais le clou qui pénètre en lui est devenu pour moi une clef qui m’ouvre le mystère de ses desseins. Comment ne pas voir à travers ces ouvertures ? Les clous et les plaies crient que vraiment en la personne du Christ, Dieu se réconcilie le monde. Le fer a transpercé son être et touché son cœur afin qu’il n’ignore plus comment compatir à mes faiblesses.

Le secret de son cœur paraît à nu dans les plaies de son corps ; on voit à découvert le grand mystère de sa bonté, cette miséricordieuse tendresse de notre Dieu, Soleil levant qui nous a visités d’en haut. Et comment cette tendresse ne serait-elle pas manifeste dans ses plaies ? Comment montrer plus clairement que par tes plaies que toi, Seigneur, tu es doux et compatissant et d’une grande miséricorde, puisqu’il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour des condamnés à mort ?

Tout mon mérite, c’est donc la pitié du Seigneur, et je ne manquerai pas de mérite tant que la pitié ne lui fera pas défaut. Si les miséricordes de Dieu se multiplient, mes mérites seront nombreux. Mais qu’arrivera-t-il si j’ai à me reprocher quantité de fautes ? Là où le péché s’était multiplié, la grâce a surabondé. Et si la bonté du Seigneur s’étend de toujours à toujours, de mon côté je chanterai sans fin les miséricordes du Seigneur. Est-ce là ma justice ? Seigneur, je ferai mémoire de ta seule justice, car c’est elle ma justice, puisque pour moi tu es devenu justice de Dieu.

Avec le Christ souffrant

Chrétiens, nous ne voulons pas souffrir, nous voulons nous battre avec le Christ souffrant. Accepter de suivre le Christ dans ce chemin qui d’abord nous révolte, mais qui, -comme Pierre, nous le comprenons « plus tard » – est chemin de liberté.

Car les disciples eux-mêmes ont laissé le Christ en sa solitude, à Gethsémani. Par ce combat intérieur, le Christ commence déjà sa passion. En ce moment, il a besoin de ses compagnons et de leur soutien. Il invite les disciples à partager sa souffrance en priant avec lui. En ce combat spirituel, conflit de la liberté, les disciples sont saisis par une réaction physiologique de torpeur. Ils dorment. C’est leur manière de « se déconnecter » devant ce qui leur est insupportable. Ils ne peuvent pas supporter le combat de la liberté. Le Christ, lui, prie avec plus d’insistance. Et il leur enseigne la prière ; il les secoue, les réveille : « Vous n’avez pas pu prier une heure avec moi ! Veillez et priez !. Les disciples suivent la passion du Christ dans une déroute spirituelle et physique : à la fin, ils s’enfuient.

Quand les disciples se sont-ils vraiment approchés du Christ en sa passion ? Ils sont restés à distance. Ils n’ont pas touché le corps mort du supplicié : le corps de Jésus a été remis à Joseph d’Arimathie et à Marie qui étaient là. Mais lorsque Jésus ressuscité leur dit : « Touchez mes mains, touchez mon côté, voyez mes plaies », alors ils accèdent à sa passion

C’est au moment de leur guérison, dans la grâce de la résurrection que le Christ leur a donné de toucher son corps, les stigmates de la passion. Ce dans l’espérance de la vie qu’il leur a donné d’avoir part à sa passion : « Porte ton doigt ici, avance ta main et mets-la dans mon côté » (Jean 20,27). Le Christ les invite à toucher son corps blessé par les hommes et transfiguré par la puissance de Dieu. Dans la lumière de la Résurrection, ils sont invités à s’approcher du corps glorieux marqué des stigmates de la passion. Ce n’est que dans l’espérance de la vie que le Christ nous permet de participer à sa mort. Sinon la foi chrétienne serait un gouffre, le vertige de l’anéantissement.

Dieu ne veut pas que nous mourions. Dieu veut que nous vivions. Le mystère de la croix est un mystère de vie qui nous permet, le cœur guéri de la peur, d’affronter avec le Christ, le combat spirituel du Christ dans l’histoire, de rencontrer des malades, de vivre la maladie et l’approche de la mort.

Toute personne qui traverse la maladie est appelée à vivre un combat spirituel intense : faire face au désespoir. Là, elle est appelée à rejoindre le Christ qui, soumis à la violence des hommes, s’est tenu dans l’ouverture et l’espérance. Ce combat spirituel avec le Christ est un lieu de résistance spirituelle au mal qui cherche à attirer nos libertés dans le désespoir. Il s’y oppose comme une barrière vivante. Il suffit

qu’un point lâche pour que toute la barrière soit emportée’ Mais si ce point, malgré sa vulnérabilité, tient bon, l’organisme entier est sauvé. Ainsi en va-t-il du rapport du Christ à l’humanité dans ce mouvement de résistance. Dans le Christ, chaque homme malade participe à la rédemption du monde. Il peut se rendre solidaire du Christ dans l’ouverture confiante à Dieu, et, résistant au désespoir dans sa liberté, il témoigne de sa foi, fortifie ses frères et fait corps avec le Christ vivant sur lequel la mort n’a plus d’emprise. Même si cela demeure caché aux yeux des hommes.

La mort du Christ est loin de vos préoccupations purement médicales. Elle nous montre cependant à quel point cette période charnière de la vie qu’est la souffrance et la mort, est le moment où la condition humaine dévoile son visage et fait apparaître la ressemblance de Dieu qui y est inscrite en cette créature singulière « faite pour Dieu et venant de Dieu ».

Extrait de la conférence
du Cardinal Jean-Marie Lustiger
aux étudiants en médecine
de Chrétiens en Médecine et du Centre
Laennec, le 26 février 1986.

Revue Laennec, octobre 1987

Un peu comme les polders en Hol­lande. Le niveau des champs est plus bas que le niveau de la mer. Qu’un point de la digue cède et tous les champs sont inondés ; que ce point tienne bon et toute la digue résiste à la  pression de l’eau.

L’eucharistie, l’acte d’amour par excellence (J.-M. Hennaux s.j.)

« Dans la mort de Jésus, l’histoire humaine tout entière parvient à sa consommation, à son sommet. Un homme de notre race a été jusqu’au bout de l’amour : il a fait de sa mort un acte parfait d’amour, s’abandonnant sans réserve entre les mains du Père (Lc 23,46) et entre les mains de ses frères pécheurs (Lc 23,33-34). Cet acte est indépassable : il porte d’un coup l’histoire à son accomplissement, et si celle-ci continue, c’est pour que les hommes entrent dans cet Acte, le fassent leur, acceptant d’être pris en lui, sanctifiés, consacrés par lui, qui les transforme et leur permet d’aller, eux aussi, jusqu’au bout de l’amour. L’Acte de mourir de Jésus sur la Croix est l’acte auquel l’humanité entière est suspendue, l’Acte qui la sanctifie et la consacre tout entière dans l’amour »[1].

L’instant est solennel. Jésus l’a voulu dans le cadre de la Pâque juive. Il connaît la haine de ceux qui refusent son témoignage. Il connaît celui qui va le trahir. En cet instant, Jésus prend sa vie en main et parle de lui-même comme d’un pain qui « doit être livré » et « saisi » par les hommes. Dans la maîtrise parfaite de ce qu’il est, le Don du Père, il donne sa vie, vérifie sa prédication, authentifie ses gestes de puissance, fait advenir le Royaume dont il a annoncé la venue sur les routes de Palestine. Jésus n’est pas seulement la victime passive innocente : « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne » (Jn 10,18). Sa vie lui appartient : il lui revient d’accomplir toutes les Ecritures par le don de Lui-même jusqu’à mourir. Il manifeste ainsi l’être de l’homme : être-de-don qui a capacité d’ordonner sa vie, de dire « oui » ou « non » au don qu’il est pour les autres et pour Dieu. Le Christ l’avait dit : « Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui s’y attache en ce monde la gardera pour la Vie éternelle » (Jn 12,25). Sa vie, toute vie humaine, est faite pour être donnée. On ne réussit, on n’accomplit sa vie qu’en la donnant. « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13). Jésus se fait pain de ses disciples, pain des hommes.

Jésus « se rompt lui-même, avant même d’être rompu par nous tous, ses frères pécheurs ; il se partage : consommant sa mort lui-même, il devient capable de se partager entre tous dans un partage où il est vraiment tout entier à chacun : il passe au Père dans les autres et, nous regardant tous, il dit : « Mon corps, c’est vous ». La Parole par laquelle il se livre est efficace : il est déjà mort, il vit déjà au cœur des siens. La Passion ne fera qu’accomplir ce qu’il a dit : les hommes seraient d’ailleurs bien incapables de faire mourir celui qui est la Vie, s’il ne voulait lui-même mourir pour eux et par eux, dans l’amour »[2].

La mémoire de ce don est un rite sacré confié par Lui à la mémoire des hommes. Elle est le mémorial et l’actualité d’un passé éternel. Ce don s’actualise en Eglise par l’Esprit Saint : « Pour accomplir le dessein de ton amour, il s’est livré lui-même à la mort et, par sa résurrection, il a détruit la mort et renouvelé la vie. Afin que notre vie ne soit plus à nous-mêmes, mais à lui qui est mort et ressuscité pour nous, il a envoyé d’auprès de toi, comme premier don fait aux croyants, l’Esprit qui poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification » (Prière eucharistique n°4). L’Acte du Christ ouvre dans l’Eglise le chemin de la communion avec Lui. Jésus Lui-même l’a demandé à ses disciples à ce moment : « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22,19).

« L’Eglise est tout entière invitée à entrer dans l’Acte qui la sauve et la consacre : nous sommes sauvés, nous faisons de notre vie un acte d’amour parfait dans la mesure où « nous faisons ceci en mémoire de lui », dans la mesure où nous nous prenons, où nous nous rompons dans la mort à nous-mêmes et où nous devenons réellement le pain des autres, à la gloire du Père. L’Acte de mourir de Jésus, son acte parfait d’amour, est re-présenté (rendu présent dans un symbole) à l’humanité, jusqu’à la fin des siècles dans l’eucharistie. La messe est le moment où cet Acte nous rejoint et où nous le laissons s’emparer de nous, nous consacrer et nous « transsubstantier », pour que, nous aussi, nous allions jusqu’au bout de l’amour »[3].

[1] J.-M. HENNAUX, « Vœu et promesse. Supprimer les vœux temporaires ? », dans Vie Consacrée 44 (1972) 6.

[2] J.-M. HENNAUX, « Jusqu’au bout de l’amour (Jn 13,1) », dans Si tu savais le don de Dieu, Paris, Equipes Notre-Dame, 1982, p. 30.

[3] J.-M. HENNAUX, « Jusqu’au bout de l’amour (Jn 13,1) », dans Si tu savais le don de Dieu, Paris, Equipes Notre-Dame, 1982, p. 30.

P.Jacques SOMMET, L’honneur de la liberté, Centurion

du même auteur : « Passion des hommes et pardon de Dieu », Centurion.

Dachau. Une expérience spirituelle L’Eucharistie, une présence immédiate

Construire le corps de l’Église

Dans ce contexte l’Eucharistie doit avoir un sens extrêmement fort de rencontre immédiate et physique de Dieu en même temps que de transmutation, de « trans­substantiation » de l’épreuve humaine. Le mot de « présence réelle » prend tout son poids.

Recevoir l’Eucharistie et la distribuer, c’était pour chacun de ceux qui le faisaient la rencontre immédiate de Dieu en Jésus Christ, la rencontre avec le Christ évangélique. Une présence réelle et, ajouterais-je, une présence singulière, presque historique, et pourtant transcendante. Elle est là historiquement, matériellement, à travers les signes. C’est le geste de quelqu’un qui se donne. C’est vraiment le Dieu qui traverse cette condition où nous sommes et qui vient à moi par son Fils. Une présence immédiate, paradoxalement presque physique, en tout cas localisée. Il est là, je l’aurai tout à l’heure au coin de la baraque : nous nous rencontrerons.

Le deuxième aspect c’est évidemment la solidarité ecclésiale, le corps reconstruit. On passe de la rencontre du corps à corps, à la rencontre et à la construction d’un corps au sens collectif, c’est-à-dire d’une fraternité qui n’a pas sa solidité en elle-même, mais qui la tient de la fidélité, donc de la générosité de chacun. Une fraternité dans la grâce, c’est-à-dire fondée dans le fait qu’un Dieu est avec nous, que dans ce lieu une communauté existe, une communauté qui pense signifier quelque chose. On peut parler à ce sujet de l’Église découverte ou revécue à travers cette expérience. Peut-être, suivant les tempéraments, cet aspect est-il même premier pour certains. Mais rencontre de Dieu en Jésus Christ et fraternité sont en fait indissociables. Ce réseau eucharistique signifie donc le lien fraternel d’un corps collectif qui se construit là, le corps de l’Église.

Quel paradoxe et que signifie dans ce camp construire le corps de l’Église ? Beaucoup. C’est la puissance d’un groupe qui trouve, dans l’amour gratuit de Dieu partagé, la foi et la force de surmonter les difficultés, la force d’espérer même quand cette espérance traverse précisément les risques de mort. Cette expérience est si difficile pour d’autres, qui sont généreux. Je pense aux marxistes. Dire qu’ils construisent l’avenir alors qu’il disparaît, voilà qui reste pour moi moins éclairé, moins lumineux, moins justifiable. Pour penser un certain mode de résurrection, ils prennent la comparaison des feuilles qui à. l’automne s’accumulent pour préparer l’humus du prochain printemps. Cette image ne me semble pas tout à fait adéquate quand on sait tout le prix qu’il faut payer.