Joseph est-il vraiment le père de Jésus ?

La notion de castration, mise en avant par Sigmund Freud, est une réponse possible à cette dernière interrogation. Françoise Dolto lui adjoint le qualificatif de « symboligène » pour en écarter les ambiguïtés toujours présentes. L’effet de la castration se mesure à la vie symbolique dans laquelle elle donne au sujet d’entrer. Elle n’est pas une mutilation du corps ou une répudiation du moi, définitive et sans bruit, comme peuvent l’être, entre des parents et un enfant, un sevrage sans parole ou une éducation à la propreté qui relèverait plus d’un dressage mutique.

Elle en donne une illustration qui éclaire autrement la fécondité de la référence à la médiocrité. « On pourrait comparer l’individu à une plante qui, très jeune, fait éclore sa première fleur — en croyant que c’est la seule qu’elle aura jamais. C’est alors que le jardinier la lui coupe. Nous savons que la fleur est l’organe sexuel de la plante. Si la plante pouvait penser, elle croirait donc subir une mutilation de son destin reproductif. En fait, si le jardinier a coupé cette première fleur, c’est parce qu’il sait, ce faisant, que la force des racines va faire pousser davantage la plante et qu’au contraire, en laissant cette branche déjà fleurie, il appauvrirait la vitalité de la plante. »9 La médiocrité pourrait alors être pensée comme « l’épreuve de la nullité de la gloire liée à cette première floraison, que [la plante] imaginait être promesse de sa seule chance de fécondité ». S’il s’agit ici de l’expérience de l’individu, très jeune, elle ne peut se produire que si ses parents jardiniers sont eux-mêmes structurés par la castration symboligène, toujours à renouveler, s’ils s’assument médiocres dans ce qui leur apparaît comme le couronnement de leur vie.

Un autre récit de vocation permettra de conclure provisoirement : celui de Joseph qui ne peut prétendre être le père biologique de Jésus mais nous donne de le reconnaître comme la figure accomplie et commune de ce qu’est un père 10. Deux paroles transpercent l’histoire.

La première, donnée dans la fragilité d’un rêve mais reçue dans la confiance par Joseph, le confirme dans sa sexualité avec Marie : « Ne crains pas de prendre chez toi, Marie, ta femme. »

La seconde, adressée par Joseph à Jésus quand il lui donne son nom. Une parole qui le rattache aux attentes d’une histoire intergénérationnelle, le distingue dans son corps singulier et le laisse libre de son interprétation. N’est-ce pas la seule vocation, celle qui relie le père et le fils ? Le père qui donne son nom à son fils, le fils qui l’écoute, c’est-à-dire l’interprète par sa vie.

Un second souvenir peut alors répondre au premier : un reli­gieux faisait un jour remarquer que la présence discrète de Joseph, impuissante dirions-nous, était la condition pour que Jésus puisse faire lui-même l’expérience de ce qu’est un père pour lui et puisse apprendre à ceux qui sont désormais ses frères à dire librement le Notre Père. Heureuse médiocrité qui nous livre à la vie et à la parole ? Chacun peut en décider.

Vincent CALLIGER, Demeurer dans la vocation ordinaire, un appel adressé à chacun, Christus n° 266, Avril 2020, p. 47-54

 

9 Françoise DOLTO « L’image inconsciente du corps » Seuil, 1984,pp 78-79

10 Matthieu 1,18-25 selon la traduction de la Bible de Jérusalem, Cerf, 1975