Avec le Christ souffrant

Chrétiens, nous ne voulons pas souffrir, nous voulons nous battre avec le Christ souffrant. Accepter de suivre le Christ dans ce chemin qui d’abord nous révolte, mais qui, -comme Pierre, nous le comprenons « plus tard » – est chemin de liberté.

Car les disciples eux-mêmes ont laissé le Christ en sa solitude, à Gethsémani. Par ce combat intérieur, le Christ commence déjà sa passion. En ce moment, il a besoin de ses compagnons et de leur soutien. Il invite les disciples à partager sa souffrance en priant avec lui. En ce combat spirituel, conflit de la liberté, les disciples sont saisis par une réaction physiologique de torpeur. Ils dorment. C’est leur manière de « se déconnecter » devant ce qui leur est insupportable. Ils ne peuvent pas supporter le combat de la liberté. Le Christ, lui, prie avec plus d’insistance. Et il leur enseigne la prière ; il les secoue, les réveille : « Vous n’avez pas pu prier une heure avec moi ! Veillez et priez !. Les disciples suivent la passion du Christ dans une déroute spirituelle et physique : à la fin, ils s’enfuient.

Quand les disciples se sont-ils vraiment approchés du Christ en sa passion ? Ils sont restés à distance. Ils n’ont pas touché le corps mort du supplicié : le corps de Jésus a été remis à Joseph d’Arimathie et à Marie qui étaient là. Mais lorsque Jésus ressuscité leur dit : « Touchez mes mains, touchez mon côté, voyez mes plaies », alors ils accèdent à sa passion

C’est au moment de leur guérison, dans la grâce de la résurrection que le Christ leur a donné de toucher son corps, les stigmates de la passion. Ce dans l’espérance de la vie qu’il leur a donné d’avoir part à sa passion : « Porte ton doigt ici, avance ta main et mets-la dans mon côté » (Jean 20,27). Le Christ les invite à toucher son corps blessé par les hommes et transfiguré par la puissance de Dieu. Dans la lumière de la Résurrection, ils sont invités à s’approcher du corps glorieux marqué des stigmates de la passion. Ce n’est que dans l’espérance de la vie que le Christ nous permet de participer à sa mort. Sinon la foi chrétienne serait un gouffre, le vertige de l’anéantissement.

Dieu ne veut pas que nous mourions. Dieu veut que nous vivions. Le mystère de la croix est un mystère de vie qui nous permet, le cœur guéri de la peur, d’affronter avec le Christ, le combat spirituel du Christ dans l’histoire, de rencontrer des malades, de vivre la maladie et l’approche de la mort.

Toute personne qui traverse la maladie est appelée à vivre un combat spirituel intense : faire face au désespoir. Là, elle est appelée à rejoindre le Christ qui, soumis à la violence des hommes, s’est tenu dans l’ouverture et l’espérance. Ce combat spirituel avec le Christ est un lieu de résistance spirituelle au mal qui cherche à attirer nos libertés dans le désespoir. Il s’y oppose comme une barrière vivante. Il suffit

qu’un point lâche pour que toute la barrière soit emportée’ Mais si ce point, malgré sa vulnérabilité, tient bon, l’organisme entier est sauvé. Ainsi en va-t-il du rapport du Christ à l’humanité dans ce mouvement de résistance. Dans le Christ, chaque homme malade participe à la rédemption du monde. Il peut se rendre solidaire du Christ dans l’ouverture confiante à Dieu, et, résistant au désespoir dans sa liberté, il témoigne de sa foi, fortifie ses frères et fait corps avec le Christ vivant sur lequel la mort n’a plus d’emprise. Même si cela demeure caché aux yeux des hommes.

La mort du Christ est loin de vos préoccupations purement médicales. Elle nous montre cependant à quel point cette période charnière de la vie qu’est la souffrance et la mort, est le moment où la condition humaine dévoile son visage et fait apparaître la ressemblance de Dieu qui y est inscrite en cette créature singulière « faite pour Dieu et venant de Dieu ».

Extrait de la conférence
du Cardinal Jean-Marie Lustiger
aux étudiants en médecine
de Chrétiens en Médecine et du Centre
Laennec, le 26 février 1986.

Revue Laennec, octobre 1987

Un peu comme les polders en Hol­lande. Le niveau des champs est plus bas que le niveau de la mer. Qu’un point de la digue cède et tous les champs sont inondés ; que ce point tienne bon et toute la digue résiste à la  pression de l’eau.