Jésus en agonie jusqu’à la fin du monde

Jésus est dans un jardin, non de délices comme le premier Adam, où il se perdit et tout le genre humain, mais dans un des supplices, où il s’est sauvé et tout le genre humain.

Il souffre cette peine et cet abandon dans l’horreur de la nuit.

Je crois que Jésus ne s’est jamais plaint que cette seule fois : mais alors il se plaint comme s’il n’eût plus pu contenir sa douleur excessive : « Mon âme est triste jusqu’à la mort » (Mt 26,38 ; Mc 14,34).

Jésus cherche de la compagnie et du soulagement de la part des hommes. Cela est unique en toute sa vie, ce me semble. Mais il n’en reçoit point, car ses disciples dorment.

Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là.

Jésus au milieu de ce délaissement universel et de ses amis choisis pour veiller sur lui, les trouvant dormant, s’en fâche à cause du péril où ils s’exposent, non lui, mais eux-mêmes, et les avertit de leur propre salut et de leur bien avec une tendresse cordiale pour eux pendant leur ingratitude, et les avertit que « l’esprit est prompt et la chair infirme » (Mt 26,41 ; Mc 14,38).

Jésus, les trouvant encore dormant, sans que ni sa considération, ni la leur les en eût retenus, il a la bonté de ne pas les éveiller, et de les laisser dans leur repos.

Jésus prie dans l’incertitude de la volonté du Père, et craint la mort mais l’ayant connue, il va au-devant s’offrir à elle : « Partons… Et il s’avança » (Jn 14,31 ; 18,4).

Jésus a prié les hommes et n’en a pas été exaucé.

Jésus, pendant que ses disciples dormaient, a opéré leur salut. Il l’a fait à chacun des justes pendant qu’ils dormaient, et dans le néant avant leur naissance, et dans les péchés depuis leur naissance.

Il ne prie qu’une fois que le calice passe et encore avec soumission, et deux fois qu’il vienne s’il le faut…

Nous implorons la miséricorde de Dieu, non afin qu’il nous laisse en paix dans nos vices, mais afin qu’il nous en délivre.

Si Dieu nous donnait des maîtres de sa main, oh ! qu’il leur faudrait obéir de bon coeur ! La nécessité et les événements en sont infailliblement.

« Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais trouvé ».

« Je pensais à toi dans mon agonie, j’ai versé telles gouttes de sang pour toi ».

« Veux-tu qu’il me coûte toujours du sang de mon humanité, sans que tu me donnes des larmes ? »

« C’est mon affaire que ta conversion ; ne crains point, et prie avec confiance comme pour moi ».

« Je te suis plus ami que tel ou tel ; car j’ai fait pour toi plus qu’eux, et ils ne souffriraient pas ce que j’ai souffert pour toi et ne mourraient pas pour toi dans le temps de tes infidélités et cruautés, comme j’ai fait et comme je suis prêt à le faire et le fais dans mes élus et au Saint Sacrement ».

Blaise Pascal, Pensées