P. Jacques SOMMET, L’honneur de la liberté, Centurion

du même auteur : « Passion des hommes et pardon de Dieu », Centurion.

Dachau. Une expérience spirituelle L’Eucharistie, une présence immédiate

Construire le corps de l’Église

Dans ce contexte l’Eucharistie doit avoir un sens extrêmement fort de rencontre immédiate et physique de Dieu en même temps que de transmutation, de « trans­substantiation » de l’épreuve humaine. Le mot de « présence réelle » prend tout son poids.

Recevoir l’Eucharistie et la distribuer, c’était pour chacun de ceux qui le faisaient la rencontre immédiate de Dieu en Jésus Christ, la rencontre avec le Christ évangélique. Une présence réelle et, ajouterais-je, une présence singulière, presque historique, et pourtant transcendante. Elle est là historiquement, matériellement, à travers les signes. C’est le geste de quelqu’un qui se donne. C’est vraiment le Dieu qui traverse cette condition où nous sommes et qui vient à moi par son Fils. Une présence immédiate, paradoxalement presque physique, en tout cas localisée. Il est là, je l’aurai tout à l’heure au coin de la baraque : nous nous rencontrerons.

Le deuxième aspect c’est évidemment la solidarité ecclésiale, le corps reconstruit. On passe de la rencontre du corps à corps, à la rencontre et à la construction d’un corps au sens collectif, c’est-à-dire d’une fraternité qui n’a pas sa solidité en elle-même, mais qui la tient de la fidélité, donc de la générosité de chacun. Une fraternité dans la grâce, c’est-à-dire fondée dans le fait qu’un Dieu est avec nous, que dans ce lieu une communauté existe, une communauté qui pense signifier quelque chose. On peut parler à ce sujet de l’Église découverte ou revécue à travers cette expérience. Peut-être, suivant les tempéraments, cet aspect est-il même premier pour certains. Mais rencontre de Dieu en Jésus Christ et fraternité sont en fait indissociables. Ce réseau eucharistique signifie donc le lien fraternel d’un corps collectif qui se construit là, le corps de l’Église.

Quel paradoxe et que signifie dans ce camp construire le corps de l’Église ? Beaucoup. C’est la puissance d’un groupe qui trouve, dans l’amour gratuit de Dieu partagé, la foi et la force de surmonter les difficultés, la force d’espérer même quand cette espérance traverse précisément les risques de mort. Cette expérience est si difficile pour d’autres, qui sont généreux. Je pense aux marxistes. Dire qu’ils construisent l’avenir alors qu’il disparaît, voilà qui reste pour moi moins éclairé, moins lumineux, moins justifiable. Pour penser un certain mode de résurrection, ils prennent la comparaison des feuilles qui à. l’automne s’accumulent pour préparer l’humus du prochain printemps. Cette image ne me semble pas tout à fait adéquate quand on sait tout le prix qu’il faut payer.