Nous voulons te rendre grâce, Seigneur, de nous avoir donné Michel comme frère, ami, conseiller et comme théologien…
Je l’ai connu comme supérieur en 1968 Rue Sala, puis j’ai eu cette grâce d’être son supérieur à la Baume-les-Aix, et puis à Grenoble.
La dernière partie de son existence reste mystérieusement ombrée par sa chute en 2014 à la communauté Pierre Favre, Rue Haxo. Après un séjour chez les petites sœurs des pauvres il a connu les longues journées à la Chauderaie, où les oreilles progressivement ne répondaient plus. Mais malgré son hémiplégie son visage a laissé transparaître jusqu’au bout sa bienveillance inconditionnelle.
« Préparer notre résurrection, c’est aussi humaniser ce que l’Esprit vient diviniser en nous ».
Je voudrais souligner l’un ou l’autre trait de cette personnalité, « hors du commun », qui avec d’autres a marqué une époque et des générations de jésuites et de laïcs.

Michel comme théologien fut d’abord un grand spirituel.

Le théologien est celui qui parle de Dieu et non sur Dieu, et suppose un homme de foi qui prie. Michel, comme l’avait rappelé Mgr Panafieu, à son jubilé à Aix, est « un théologien qui d’une manière étonnante a été capable de réconcilier liberté intérieure et sens ecclésial. Ce paradoxe est possible quand il est vécu à une certaine profondeur. Cela donne une liberté de parole, faite de fermeté et de douceur ». C’est ce qui a accompagné Michel dans ses traversées qui ont été multiples et qui viennent d’être rappelées. Pour Aix en Provence, en plus du défi – tenir ensemble théologie, culture et vie spirituelle -, il a été capable de Rassembler autour de ce projet les jésuites, les sœurs de la Pommeraie et bien sûr les laïcs.

Aurait-il un secret ?

Michel est bien sûr l’homme d’une terre. L’aîné d’une famille de 5 enfants à Vienne en Isère. Un enfant attendu et désiré durant de nombreuses années. Il y a quelques années son frère Jean, est venu travailler ici aux archives de Grenoble. Il nous a montré un livre où sa mère notait, avec une écriture fine, ce qu’elle observait de son enfant… Cette écriture nous révèle, comme dans les bonnes hagiographies, un enfant doué et qui avait une soif de connaître le monde et les énigmes de la vie, avec un autre trait, très tôt, il aimait prêcher.
Cet homme d’une terre et d’un héritage chrétien, a rencontré sur sa route des témoins : le père Aubé à Grenoble durant ses études de philosophie, puis son propre maître de novices le père Constantin. Ce dernier est resté une grande figure dans la Compagnie et de fait, il a su, dans la grisaille des premiers mois de la guerre (1942) faire confiance à ce novice entré à 19 ans. Il l’a éveillé au meilleur d’une liberté qui restera le « cantus firmus » de toute son existence.
Par la suite il a été non seulement le compagnon de grandes figures, comme celles de Jacques Sommet, Jacques Guillet, François Varillon, Didier Rimaud et de bien d’autres. Il a eu la grâce d’être à Rome quand Jean XXIII a annoncé le Concile et d’y retourner pour participer à la 31ème congrégation générale (1965) de la Compagnie qui a élu le Père Arrupe.
En définitive, comme l’a rappelé Paul Ricoeur, « Si la véritable grandeur est d’être présent dans la mémoire de Dieu, il est possible cependant d’évoquer quelques traces qu’à vues humaines la vie a laissées dans l’histoire », il y a certes ses livres bien sûr, mais ce sont tous ces visages qui l’ont entendu au plus intime : « Vous avez été appellés à la liberté dans le Christ ou par l’Esprit ». Cette liberté a pu être contagieuse, non seulement pour les novices jésuites (1) mais encore pour les hommes et femmes, religieuses et prêtres qui ont eu la joie de le rencontrer ou de l’écouter parler de Dieu et de la vie selon l’Esprit.

Mais laissons-lui la parole

Lors de son jubilé à la Baume, il a fait cette confidence à propos de son ordination en 1955 : « Au jour de mon ordination, j’ai eu le sentiment très fort d’être envoyé, donné à des hommes et à des femmes encore inconnues, mais qui sont vite devenus des visages proches dans les ministères auxquels j’ai été appelé,
D’eux tous j’ai reçu plus que je n’ai donné parce qu’ils ont été pour moi le témoignage vivant de l’Esprit à l’œuvre dans le cœur des hommes ».

Léo Scherer, jésuite
Aux Funérailles du Père Michel Rondet, 9 mars 2021

(1) – Maître des novices à 36 ans, puis supérieur de la communauté rue Sala à Lyon, Michel rejoint Aix-en-Provence en 1972. Il y reste 32 ans comme supérieur puis directeur du centre de La Baume, animateur des groupes « Croire et Célébrer », rédacteur en chef de la Revue « Garrigues »… À Grenoble, en 2014, une chute dans l’escalier de la communauté le rend hémiplégique et l’oblige à rejoindre La Chauderaie où il continuera d’aider spirituellement les uns et les autres à la mesure de ses forces déclinantes.